Dernier jour de la 9ème décade d'hiver 1481
Le printemps s'en venait, c'était indéniable. Le calendrier n'était pas le seul à en attester, c'étaient les prémices, mais les jardins commençaient à voir leurs arbres bourgeonner. Aaron s'était autorisé une pause dans son emploi toujours assez chargé, et avait fait passer le message par une petite page à Manuchan : s'il avait un peu de temps dans son propre horaire plutôt encombré lui aussi, il le trouverait dans les jardins. Il prévoyait d'y rester jusqu'au déjeuner, soit peut-être une demi-marque. Il eût pu se rendre auprès de Raïna, et n'excluait pas de le faire un peu plus tard, mais pour l'heure, il soufflait purement et simplement, sans but ni occupation réels, ce qui était particulièrement rare. Ca n'empêchait pas son esprit de vagabonder, cela étant, et à vrai dire, la petite page à qui il s'était adressé occupait une partie de ses pensées. Elle devait sans doute avoir assez récemment rejoint le Palais et les Collegia parce qu'il ne se souvenait pas avoir vu son visage auparavant, et son teint de peau, ses cheveux et ses yeux sombres, témoignaient d'une origine quelque peu exotique, qu'il cherchait à déterminer encore. Son accent surtout, le surprenait. Il ne le reconnaissait pas, et pourtant il maîtrisait les langues de chacune des contrées avoisinantes. Une enfant de cet âge, pourtant, ne pouvait pas avoir traversé diverses nations seule... Sa présence l'intriguait, il eût aimé la questionner, et se promettait de prendre le temps de converser un peu avec elle, plus tard. Peut-être même d'apprendre sa langue, qu'il supposait ne pas connaître, aussi. S'il y avait bien une chose autre que son devoir pour laquelle il pouvait se passionner, c'était bien celle-ci.
Il ne s'était, évidemment, pas attendu à voir cette silhouette arpenter les jardins à son tour, remontant des portes, sans doute en direction des Collegia. Du Collegium des Mages, même, très certainement. Ce visage, il s'en souvenait, quand bien même il ne l'avait plus revu depuis Hardorn. Quand bien même, à vrai dire, il eût préféré ne pas le revoir. Son retour faisait naître une certaine angoisse dans le coeur du Héraut. Il savait, avait senti tout du moins, comme son amant avait aimé cet homme, comme il avait souffert de son départ. Et il craignait que la flamme ne se rallumât avec son retour, donc. Son ressenti n'excluait cependant pas la plus élémentaire des politesses, et comme il arrivait à sa hauteur, le Blanc s'inclina légèrement.
« Adepte Glenn, vous êtes donc de retour ? Soyez le bienvenu à Haven. »
C'était la moindre des choses, donc, que de lui souhaiter un bon retour. Mais pour le coup, il espérait quelque peu que Manu n'eût pas reçu son message, que la petite page ne l'eût pas trouvé, ou qu'il n'eût pas trouvé moyen de se libérer. Ce ne serait que repousser l'échéance, il en était conscient, mais c'était plus fort que lui. Et la caresse mentale de sa moitié ne parvenait pas réellement à l'apaiser. D'autant moins que ses espoirs s'avéraient vains, puisqu'ils se retrouvèrent bientôt trois au milieu des vastes jardins des Collegia...
Quelle délicieuse journée ! Non seulement, le temps semblait venir de plus en plus vers les beaux jours, mais le Mage avait des oiseaux plein la tête. N'eut-il été un homme qu'il se serait volontiers mis à pirouetter au milieu de sa chambre en chantant des chansons à toutes les bestioles qui pourraient passer sous sa fenêtre. Même à l'araignée qui le regardait du haut de sa toile….
*Une a-rai-gnée….*
Bon, le Mage n'était certes pas une femme, mais il n'en demeure pas moins qu'en termes de peur, son cri sur le moment n'avait rien à envier à la ménagère du coin et il se retrouva bien plus vite qu'il ne l'aurait cru de l'autre côté de la porte d'entrée de ses appartements. transpirant et tremblant de peur !
*Déesse ! Dire que j'ai combattu d'atroces créatures, nombre de Mages plus ou moins noirs et que je n'ai pour ainsi dire jamais eu peur de rien ! Quelle honte!*
En fait, il n'expliquait pas vraiment cette frayeur devant ces créatures mais pourtant, elle avait toujours existé. Même alors qu'il vivait reclus dans sa forêt, il avait conçu un sort pour les repousser ! peut-être était-ce parce que ces créatures semblaient si…. anormales ! Pleines de pattes, pleines de poils, pleines d'yeux, pleines de tout ! Yark !
Comble de bonheur voici que venait une page et clairement, c'était lui qu'elle venait voir pour lui remettre un message. Il tentait de se trouver une contenance malgré ses tremblements ininterrompus mais en même temps, il pensait à la sale bête qui l'attendait, juste là… de l'autre côté de la porte…. Il n'allait tout de même pas user de magie pour la faire partir !
*C'est la faute d'Aaron….*
En fait, depuis que les visites chez l'un et chez l'autre étaient plus ou moins devenues une habitude, Manuchan avait fait des efforts de rangement et même de ménage dans son "antre" et comme chacun savait, ces bestioles raffole des endroits propres. Mais bon, il n'allait pas en vouloir à son amant pour si peu,…. Par contre, un peu rouge et confus, il demanda à la jeune page si elle voulait bien chasser l'infâme bestiole et elle s'exécuta complaisamment, se retenant probablement de rire sans vraiment le montrer.
Le message était du héraut trop propre ! Bon, la journée s'était bien annoncée et ça continuait. Après cette interruption à huit pattes - brrr - il allait voir son amant. Ce jour, l'Adepte pouvait pour une fois se reposer un peu car on lui avait fait savoir que des recherches étaient en cours et qu'en attendant les résultats du conseil que formaient les chercheurs, la Pierre-Cœur serait maintenue dans un état stationnaire sans chercher à améliorer quoi que ce soit. Donc, pas vraiment besoin de lui.
Résolu donc à rejoindre son beau blanc dans les jardins, Manuchan mit une de ses tenues favorites, guettant malgré lui chaque coins de la pièce pour voir si la "belle brune" n'était pas accompagnée, puis se dirigea vers le lieu convenu.
Il chantonnait presque tout du long ! C'est terrible un Mage amoureux, enfin, surtout lui en fait… Et puis bon, leur relation était une vraie source de joie, malgré certaines disputes parfois un peu rudes…. Mais quel couple ne se disputait jamais?
Là où il y avait des disputes, il y avait de l'amour. Mieux valait cela que de l'indifférence non?
Toutefois, sa joie se retrouva très vite dissipée…. Bon, tout d'abord, il vit Aaron et son sourire s'agrandit bien entendu, mais lorsqu'il discerna à qui son amant s'adressait….. Disons que, premièrement, il doutât de son état mental, évoquant une possible hallucination puis deuxièmement, sentit bien vite les commissures de ses lèvres descendre quasiment jusqu'à son menton.
En revanche, il était difficile de savoir ce qu'il ressentait vraiment : colère? amour? Joie? Frayeur? il y avait un gros mélange là… et presque involontairement, presque…. un vent violent se mit à souffler entre Aaron et Glenn, s'amplifiant un peu jusqu'à ce qu'il arrive aux côtés des deux hommes et que le vent retombe.
Son regard était aussi froid qu'il pouvait l'être et il faisait de son mieux pour afficher une certaine indifférence sans pour autant vraiment y parvenir.
Il fixait Glenn d'un œil peu amène mais, bien malgré lui cette fois, un sentiment d'amour était toujours présent au fond de sa rétine. Mais cette relation était finie ! Le Mage avança doucement en regardant l'autre rethwellan et passa un bras autour de la taille du blond. Il se doutait bien qu'Aaron n'apprécierait que peu, mais enfin….. Que ce soit clair, Manuchan n'éprouvait aucune jalousie sur l'instant, mais espérait ardemment que Glenn s'en sente le plus mal possible, ce n'était que le minimum vu que ce que Manuchan avait subi.
"Ah…. Tu me cherchais? Tiens donc…. Et comment va Perle?"
Ils avaient tous deux disparus de sa vie sans s'en expliquer, il semblait évident qu'ils devaient toujours se voir et Manuchan se félicitait de montrer une telle indifférence envers Glenn. Pourtant, il tremblait sans le vouloir. Aurait-il osé se l'avouer, il aurait probablement pris Glenn dans ses bras. Mais d'une part Aaron était là et Manuchan était quelqu'un de très fidèle, d'autre part, il se sentait plus une âme vengeresse sur l'instant.
Pourquoi avait-il lancé la discussion, déjà ? Bonne question, Aaron eût été bien en peine d'y répondre. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il le regrettait déjà. Qu'il ne voulait pas paraître impoli, et qu'objectivement, il devait bien admettre que l'aide du Mage n'était pas négligeable, que donc, sa proposition de joindre leurs forces, en l'état actuel de leurs préoccupations, était clairement la bienvenue. Même si d'un point de vue tout personnel, il s'en fût bien passé. En tant que Héraut, il ne pouvait pas se permettre de laisser passer son ressenti affectif avant le bien de Valdemar, et là, c'eût clairement été le cas s'il avait manifesté la moindre inimitié – absolument, totalement subjective – envers l'Adepte. Il tâcha donc de lui répondre avec le plus de neutralité possible, quand bien même il restait quelque peu tendu.
« Toutes les volontés sont bonnes à prendre, en ces temps troublés, comme vous dites. »
C'était le mieux qu'il pût faire. Et le vent violent qui vint souffler entre eux n'augurait rien de meilleur... Le Héraut se retourna presque aussitôt, ayant d'ores et déjà une petite idée de l'origine de cette bourrasque subite dont il ne cherchait même pas la moindre protection d'ailleurs. Idée qui se vit aussitôt confirmée lorsque son regard croisa celui, glacé, de son amant. La mine qu'il affichait face à l'autre Mage n'avait rien d'avenant et pourtant... Pourtant, il n'y avait pas que froideur, rancoeur et colère, ici, bien loin de là. Il y avait autre chose au fond de ses prunelles claires, tout autant que dans son cœur, et il n'était pas certain de vouloir mettre les mots dessus.
* Et il faudrait vraiment que tu perdes cette habitude de chercher ce qu'il ressent à tout bout de champ. D'ailleurs à quel moment c'est devenu une habitude, ça, mmmh ? *
La réponse à cette question ne nécessitait sans doute pas d'être voisée, ni même pensée de façon explicite, sa moitié en connaissait parfaitement la réponse. S'il y avait bien une personne dont il lisait un peu trop les sentiments, c'était Manuchan... Souvent, il se faisait violence pour redresser ses boucliers et ne pas trop se laisser tenter, mais... Dans certains cas de figure, il ne parvenait pas vraiment à s'en empêcher. D'autres étaient plus agréables, mais il n'en restait pas moins qu'ici, c'était plus fort que lui, à nouveau. Et tout autant qu'il n'arrivait pas à se restreindre, il craignait ce qu'il pouvait déceler des sentiments du Maître des Vents.
Glenn accueillait son ancien amant avec un sourire et une amabilité trop grandes aux yeux du Blanc qui se crispa davantage, instantanément. Et pour une fois, ça n'avait rien à voir avec l'affection témoignée par son amant. Combien de fois, déjà, s'étaient-ils disputés parce qu'il n'était pas assez démonstratif en public, et lui trop ? Combien de fois s'était-il ainsi crispé à son contact, non parce qu'il ne l'appréciait pas, mais bien au contraire, parce que c'était le cas, et qu'il n'était pas de ceux qui faisaient étalage de ce genre de choses ? Il avait déjà cessé de les compter. Pourtant à cet instant, la main de l'Adepte sur sa taille avait plutôt le don de le rassurer. Un peu.
L'animosité évidente qui transparaissait dans le ton de voix du Mage à ses côtés, étonnamment, n'eut pas cet effet. S'il était réellement passé au-dessus de leur histoire, il n'eût sans doute fait montre que d'indifférence, n'est-ce pas ? S'il était si venimeux, c'était sans doute que ce n'était pas complètement terminé. Et ce qu'il avait pu ressentir comme il avait baissé ses barrières empathiques le confirmait. Et lui vrillait le cœur. Il sentait son bras trembler dans son dos. Il sentait que ses sentiments restaient partagés. Ceux de l'autre Adepte, en revanche, ne lui parvenaient pas, et ce n'était sans doute pas un mal. Remonter ses barrières. Et rester calme, surtout. Ne pas sauter aux conclusions, ne pas se mêler, non plus, de ce qui ne le regardait pas. C'était leur histoire, c'était à eux de régler tout ça, il ne devait pas intervenir.
Il ne pouvait pas nier, cependant, que la jalousie se frayait un passage dans son cœur. La peur aussi. Il se souvenait très bien de leurs regards, en Hardorn. De leur complicité. Il n'était pas certain de pouvoir rivaliser avec leur passif. Quand bien même l'un avait fait souffrir l'autre par son absence et son silence. Il était l'autre homme, après tout. Celui qui avait comblé le vide. Si Glenn n'était jamais parti, il n'eût sans doute jamais partagé la vie de Manuchan. Alors à présent qu'il était de retour...
* Arrête de tout retourner dans tous les sens, mon Elu, tu te fais du mal... Et sans doute pour rien. Tu sais bien ce qu'il ressent, tu as été voir un certain nombre de fois déjà, n'est-ce pas ?
- Oui... Mais ça a toujours été en son absence... *
Il y avait bien longtemps que Raïna ne s'était pas reprise à le harponner comme elle le faisait auparavant pour manifester sa jalousie, mais cette fois, elle se décida à reprendre ses petites habitudes. Une remontrance comme une autre pour le défaitisme de sa moitié, qui serra les dents, cherchant à masquer son trouble aux yeux des Mages. N'empêchait qu'il était sans doute de trop à cet instant...
« Vous avez sans doute beaucoup de choses à vous dire.... »
Sous-entendu, des choses assez privées, n'est-ce pas ? Sous-entendu « je devrais peut-être vous laisser ». Pourtant il ne bougeait pas, et, même – un exploit ! – son bras vint à son tour s'enrouler autour de la taille de son amant. Un geste qu'il ne s'autorisait jamais, en temps normal, dès lors qu'une tierce personne se trouvait autour d'eux. Mais là encore, c'était plus fort que lui. Ne serait-ce que parce qu'il avait senti les tremblements de celui qui partageait sa vie, et qu'il cherchait plus ou moins consciemment à l'assurer de son soutien. Et de ses sentiments, aussi, des fois qu'il eût oublié...
Manuchan avait tellement pris l'habitude de sentir son amant se crisper lors de démonstrations d'affection en public qu'il n'y prêta même pas attention. Clairement, l'Adepte se servait d'Aaron et était d'un égoïsme démesuré. Certaines souffrances passées allaient apparemment de pair avec un comportement idiot chez lui. Pourtant il n'en continuait pas moins à agir comme tel.
L'homme dont la mèche blanche s'élargissait de plus en plus avec le temps et , bien entendu, avec son travail auprès de la Pierre-Cœur sentit un trouble chez le blanc, sans pour autant se l'expliquer réellement. Ou ne voulant pas vraiment le savoir. Il aimait Aaron et cela ne changerait pas, en aucune manière, la présence de Glenn n'était qu'une gêne à ses yeux sur le moment malgré les sentiments qu'il avait pu éprouver pour lui et ceux qu'il ressentait encore.
La surprise et un sourire involontaire se dessinèrent sur le visage de l'Adepte lorsqu'il sentit le bras de son amant passer autour de sa taille en un geste par lequel Manuchan ne pouvait qu'être transporté. Si l'autre Mage avait été absent à ce moment-là, il était certain que le blond se serait vitre retrouvé dans ses bras.
Le malaise de Glenn n'avait pas échappé au regard froid de l'Adepte qui s'en réjouissait d'une certaine manière même s'il ne souhaitait pas réellement blesser Glenn. Pas à ce point. Après tout, ils étaient certes d'anciens amants et il y avait bien des reproches à adresser au Mage des Montagnes Grises mais ils restaient malgré tout frères dans la Foi, enfin, probablement.
Toutefois, le ton employé par son vis-à-vis embrasa la colère de Manuchan qui ne put guère s'empêcher de rétorquer très calmement et très froidement :
"A tel point qu'Elle a même dû vous empêcher de m'informer de votre départ et même de me donner la moindre nouvelle. Étrange de la part de mon "frère" et de ma "sœur", vous avez dû être très pris. Surprenant aussi que vous n'ayez pas estimé avoir besoin de moi pour aider notre déesse. Mais ça, après tout, ça n'a rien de vraiment nouveau n'est-ce pas?"
Si Glenn ne se reprochait pas son comportement en tant qu'amant, au moins ne pourrait-il probablement pas nier qu'en tant que "frère" il avait mal agi. Autant Manuchan pouvait l'accepter de Perle qui était encore bien jeune et avec qui les liens s'étaient limités à une amitié débutante, autant, pardonner si aisément son ancien amant était impossible. A fortiori s'il n'admettait pas ses torts.
Cela faisait un bail oui, comme il disait. Plus d'un an en fait et il n'y avait rien à répondre à cela mais en revanche, lorsque Glenn proposa de partager du vin de rethwellan avec le couple, L'Adepte des Vents Blancs ne vit pas de raison de refuser. Cette conversation aurait eu lieu de toute façon maintenant que l'Adepte savait que son ancien amant était de retour et il préférait nettement qu'Aaron soit présent. Pour le soutenir bien sûr, mais aussi pour que le blanc ne doute pas que le lien entre lui et Glenn avait désormais changé malgré l'amour que Manuchan avait pu ressentir à son égard.
"C'est une excellente idée. Il y a bien des lustres que je n'ai pas bu du vin de notre pays." Son ton était toujours froid mais au moins n'y avait-il aucune marque d'ironie dans sa voix. Il pensait chaque mot. Oui, c'était une bonne idée. Restait un point à éclaircir.
"Aaron, tu es disponible?"
Le regard de Manuchan était un mélange de supplication et de besoin évident. Certes, il ne souhaitait pas contraindre le héraut, encore moins s'il avait des choses plus importantes à faire ce qui pouvait tout à fait être possible mais d'un autre côté, Manuchan craignait d'être faible si le blanc n'était pas là et de simplement se laisser aller à une beuverie qui leur avait été presque coutumière à tous deux alors qu'ils n'étaient pas encore ensembles. Et cela n'arrangerait probablement rien, bien au contraire.
Il s'en voulait déjà. De sa jalousie, parce qu'il s'agissait bel et bien de cela, de son manque d'amabilité, de cette situation qu'il n'avait, clairement, pas souhaitée. Intonations mises à part, les propos qu'ils échangeaient avaient l'air parfaitement courtois, et pourtant, aucun d'eux trois ne pouvait occulter le ton désagréable que prenait cette conversation. Rien n'était dit clairement, et pourtant, les accusations sous-jacentes n'échappaient à aucun d'entre eux, le Héraut lui-même en était parfaitement conscient. La mention d'Aanor le fit d'ailleurs tiquer : il était là quand elle était apparue, il se souvenait parfaitement de sa dernière demande, avant qu'ils ne fissent face à ce démoniste dans le corps duquel sa propre épée s'était retrouvée plantée. Qu'une cause telle nécessitât des sacrifices, il concevait. Que cela les empêchât Perle et lui, de simplement laisser ou adresser la moindre missive ?
Ca ne le regardait pas, il ne devait pas s'en mêler. Mais conscient de l'attaque envers son amant – dont à vrai dire, le courroux lui semblait légitime, quand bien même il révélait des sentiments dont il n'était pas certain de vouloir être témoin – il serra les dents, autant que les poings. Se taire étant sans doute encore le mieux à faire, et les laisser régler ça entre eux. D'ailleurs, donc, il valait sans doute mieux qu'il les laissât se dire tout ce qu'ils avaient à se dire. Il n'arrivait simplement pas à juste les laisser là, ni à réellement interpréter les réactions de l'autre Adepte, par ailleurs. Parce que celles de Manuchan étaient plus qu'évidentes. Son ton froid était plus révélateur encore que s'il avait littéralement explosé face à Glenn. Aaron ferma un instant les yeux, comprenant sans doute un peu trop bien ce que pouvait ressentir son amant, ou en tout cas, pensant pouvoir le comprendre.
L'abandon. Le rejet. Pire encore lorsqu'on en ignorait la raison, qu'on passait alors des jours et des nuits à se demander quelle erreur était ainsi châtiée... Le Héraut se râcla la gorge, pas certain de vouloir voir les choses s'envenimer davantage encore. Ni de vouloir partager le vin rethwellan – ou plutôt de se retrouver entre les deux rethwellans dont les langues ne manqueraient pas de se délier aussi avec l'alcool... Cependant, laisser les deux anciens amants seuls autour d'une bouteille de vin ne lui plaisait pas davantage, et refuser d'accompagner le Mage alors qu'il lui demandait explicitement sa compagnie encore moins.
« Je peux être disponible encore un moment, même s'il faudra que je retourne à mon bureau dans l'après-midi mais... »
Mais... Mais quand bien même il n'avait pas été à cette place, il imaginait très bien que ce qu'ils avaient à se dire ne nécessitait pas vraiment d'oreilles extérieures, encore moins celles du remplaçant...
« Mais je ne suis pas sûr que ma présence soit une très bonne idée... »
Pourtant le regard de Manuchan ne pouvait pas le laisser indifférent, bien loin de là. Il ne savait pas trop quoi en penser d'ailleurs, mais préférait éviter de trop se poser la question.
* Ca, c'est une bonne idée... *
Un instant, il plongea son regard dans celui de son amant, puis interrogea l'autre Mage du regard. Il ne souhaitait pas s'imposer, mais il ne pouvait pas abandonner Manuchan, pas alors même qu'il réclamait sa présence. Restait à avoir l'accord de l'autre Adepte, et ça, il n'était pas sûr du tout de l'obtenir...
Manuchan sentit nettement un des poing de son amant se serrer tout contre sa taille. Aaron était-il agacé du comportement de Glenn? Ou de celui de son amant? Impossible de le savoir et l'Adepte commençait à culpabiliser un peu d'ainsi se servir de sa présence. Mais enfin, après tout, il n'était venu qu'après et la présence de Glenn auprès du blanc était fortuite. Manuchan n'avait rien choisi de tout cela et il devait bien l'admettre, il était déstabilisé.
L'homme aux cheveux blanchissants sentit un poids se dissoudre dans sa poitrine alors que le blond acceptait sur un ton mitigé malgré tout, de les accompagner dans ce partage de verre improvisé. Aaron imaginait-il à quel point sa présence était importante aux yeux de Manuchan dans une telle situation? Peut-être pas ou -comme l'Adepte le soupçonnait par moments - s'était-il servi de son don d'empathie….. Mais peu importait. Le Mage des Vents Blancs n'avait rien à cacher.
Manuchan prit la main de son amant dans la sienne après qu'il eut fait savoir ses doutes quant à l'utilité de sa présence et le regarda dans les yeux.
"J'ignore si c'est une bonne idée. Tout ce que je sais, c'est que je doute que l'inverse en soit une."
Le sous-entendu était une fois encore plus que clair : J'ai besoin de toi ! Il n'avait pourtant pas osé prononcer les choses de cette façon. Car ça aurait fait montre de sa faiblesse? De son égoïsme? des deux? Probablement…. La présence de son amant était un réel soutien maintenant comme à la suite de leur première fois. Même s'il se limitait à être là.
*Je saurais lui montrer toute ma reconnaissance plus tard. Sous toutes les formes possibles*
l'Adepte aurait bien voulu partager des moments plus romantiques que…. physiques, avec son amant. Leur emploi du temps ne leur en laissait guère le loisir, mais enfin, ils finiraient bien par trouver un moyen de partager du temps ensemble, tout simplement.
Glenn pour sa part avait le culot de répondre à la froideur par la froideur ! Enfin, c'était certainement la meilleure chose à faire s'il ne souhaitait pas que tout cela ne s'envenime trop vite. Manuchan ne pouvait guère contredire ses premiers arguments mais, même si le ton devait se vouloir plus aimable, dire qu'il n'était pas doué pour les lettres !
"A ce stade, ce n'est plus une question de don mais plutôt de mains cassées. Si elles étaient valides, tu n'a pas d'excuse."
Clairement, Manuchan était moqueur ce qui était un trait de caractère plus ou moins récurrent chez lui mais contrairement à l'habitude, ce n'était pas spécialement pour rire cette fois. Son reproche était fondé, il n'en doutait pas et peu de choses pourraient lui en faire douter.
Ce qui était beaucoup plus surprenant en revanche, c'était que Perle ait eu le même comportement. Certes, ils n'avaient pas eu une relation aussi approfondie mais pensait pourtant qu'elle aurait été plus sensible. L'Adepte avait dû faire erreur à ce niveau.
Au moins, le Mage des Montagnes Grises acceptait-il de bon cœur la présence d'Aaron, c'était un bon point et s'il avait refusé, il n'y aurait alors pas eu de conversation. Manuchan en aurait probablement été incapable.
Avant que Glenn n'aille chercher la bouteille, Manuchan donna son opinion quant au lieu. Il préférait rester dans les jardins. Après tout, ainsi étaient-ils déjà rendus et puis, selon l'évolution de la discussion, ça leur permettrait une retraite plus aisée. Sans compter qu'une taverne n'était pas forcément le meilleur endroit pour recevoir deux Adeptes plus ou moins en colère et le Héraut du Sénéchal qui devait maintenir une certaine réputation….
L'indifférence feinte ne trompait sans doute aucun des trois hommes debout dans les jardins. La colère brillait dans les regards, le ton des voix trop froid, cinglait chaque reproche, et même le Héraut, pourtant au départ plus mal à l'aise que réellement rageur, devait-il bien admettre que la façon dont les choses se déroulaient ne lui plaisait guère. Il pouvait comprendre et supporter bien des choses, mais qu'on touchât à celui qui partageait sa vie, de quelque manière que ce fût, et il était bien difficile pour lui de rester aussi stoïque qu'à l'accoutumée. Il s'y força cependant, refusant de mettre le feu à un poudrière déjà sur le point d'exploser.
Il pouvait entendre les explications de Glenn. Il pouvait admettre que la place de Manu n'eût pas été auprès d'eux. Mais il ne cautionnait pas l'absence d'information, quand bien même leurs emplois du temps au cours de cette mission eussent été très chargés. Quelques mots sur un parchemin, ce n'était tout de même pas si compliqué... Même lui qui n'était pas très doué pour s'exprimer, il ne concevait pas que l'autre Adepte n'eût pas fait preuve d'un minimum d'empathie... Drôle d'ironie venant de l'homme qui avait parfois tendance à rejeter son propre Don...
La main de son amant dans la sienne, et ses quelques mots le touchèrent, bien plus qu'il ne souhaitait en faire étalage devant autrui. Il avait besoin de lui, à l'évidence, et il ne pouvait décemment pas lui refuser sa présence. Et si d'une manière, il restait convaincu d'être de trop dans ces retrouvailles et les explications qui risquaient d'en découler, d'une autre, il ne pouvait nier qu'il craignait quelque peu de laisser les deux anciens amants seuls. Qui savait ce qui pouvait ressortir de leur confrontation ? Certainement pas lui, dont l'inexpérience n'était pas à démontrer. Et même si le ton moqueur du Maître des Vents Blancs témoignait de son ressentiment, il ne restait pas serein une seconde quant à l'issue de tout cela. Au moins, sa présence aurait-elle le don de ne pas le laisser dans une attente qui risquait fort d'être particulièrement longue à ses yeux, quant au devenir de leur relation. De leurs relations, d'ailleurs.
Lorsque le Mage accepta sa présence, affirmant que son propre statut de Héraut indiquait sa discrétion, le Blanc hocha simplement la tête. Quant au lieu de la suite de cette conversation, Aaron n'était en effet que guère enclin à se rendre dans la suite de leur hôte. Clairement, il n'y eût pas été à sa place. Mais rester dans un lieu public, propice au passage de tierces personnes ne lui convenait pas plus, et lorsque Manuchan proposa qu'ils restassent dans les jardins, Aaron sembla songeur un instant.
« L'air frais ne nous fera pas de mal en effet... Mais peut-être pouvons-nous nous installer dans un endroit plus... discret. »
Il fallait bien avouer qu'ils étaient un peu au milieu du passage, là, et il n'avait pas vraiment envie de se donner en spectacle. Il y aurait sans doute du passage du côté des écuries ou du potager, comme ils se trouvaient en pleine journée, mais ils pouvaient sans doute trouver un endroit plus calme, en dehors des voies de passage usitées et des bâtiments principaux. De là à être parfaitement dissimulés aux yeux de tous, il y avait de la marge, mais au moins n'auraient-ils pas tout le Palais ni tous les Collegia comme spectateurs... En l'occurrence, emboîtant le pas de Glenn en direction du Collegium des Mages, il avisa quelques buissons un peu à l'écart et en indiqua au rethwellan l'emplacement.
« Nous pouvons vous attendre là-bas, si cela vous convient... »
Accompagné de son amant, sa main toujours dans la sienne, il laissa donc l'autre Adepte faire un crochet par ses propres appartements, et se dirigea vers ledit emplacement, où il se décida à faire face à Manuchan, ses prunelles olives intensément plongées dans ses iris glacés.
« Tu l'aimes encore, n'est-ce pas ? »
Sa main ne quittait pas la sienne pourtant. Autant il ne pouvait pas comparer leurs histoires, ses propres sentiments n'ayant jamais été partagés, autant si on lui demandait s'il aimait toujours Enju, il ne pouvait décemment pas affirmer que ce n'était pas le cas. Il ne pouvait pas comparer ce qu'il ressentait pour le Mage face à lui à l'affection qu'il avait pour la jeune femme, mais même s'ils différaient par leur intensité, il était indéniable que ses sentiments n'étaient autres qu'amoureux.
Aaron avait raison. rester là, au milieu du passage aurait été plutôt malvenu et indiscret, tant vis-à-vis d'eux que vis-à-vis des passants qui n'avaient pas à subir la tension évidente entre eux. Même de loin.
Manuchan suivit donc son amant sans mot dire vers les buissons qu'il avait désigné en observant Glenn qui s'éloignait et en essayant tant bien que mal de contenir son ressentiment et d'avoir une réflexion plus…. adulte. Ce qui était loin d'être évident.
La main du blanc dans la sienne lui faisait toutefois beaucoup de bien et l'Adepte la serra un peu plus alors qu'ils couvraient la petite distance qui les séparaient de l'emplacement choisi. Ils se retrouvaient maintenant seuls pour la première fois de la journée. Hélas, il n'y avait que peu de chances qu'ils en profitent réellement.
D'ailleurs, le blanc se tournait maintenant vers le Mage, laissant ses yeux se couler dans ceux du rethwellan et l'Adepte se sentit rougir. Presque comme s'il avait été pris en faute et dans sa tête, ce n'était pas si éloigné de la réalité.
Les mots du Héraut ne firent qu'accroître ce sentiment de culpabilité déjà avancé par l'attitude de Manuchan de puis cette rencontre inopinée. Que pouvait-il répondre? Oui? Non? En fait, tout dépendait de ce que l'on entendait par "amour".
Encore que…. C'était si compliqué tout cela.
"Je…"
Manuchan poussa un profond soupir en baissant les yeux avant de les relever pour fixer à nouveau ceux d'Aaron.
"C'est compliqué. Tu vois…. J'ai partagé des émotions très fortes avec Glenn, accentuées par ce que nous en avons partagé en campagne. Le danger crée des liens comme on dit…."
L'Adepte tentait de trouver ses mots. D'être au plus près de la réalité car il ne souhaitait pas mentir, que ce soit à Aaron ou à lui-même ce qui était loin d'être évident étant donné qu'il souhaitait encore moins blesser son amant.
"Je ne peux pas nier avoir toujours des sentiments pour lui malgré les reproches que je peux lui faire… Mais je ne pourrais probablement jamais retrouver le même type de sentiments à son égard qu'à l'époque. J'ai trop souffert de sa disparition. Désormais, il est seulement mon "frère" et je refuse que cela change."
Le ton de sa voix s'était un peu durci sur ses derniers mots, comme s'il cherchait à se convaincre lui-même mais il était déjà convaincu en fait. Cette séparation avait été bien trop brutale pour qu'il puisse aimer Glenn de la même façon qu'auparavant. Et puis….
Manuchan prit les deux mains d'Aaron dans les siennes et se rapprocha un peu plus de lui en fixant son regard.
"Je te l'ai déjà dit, peut-être trop, peut-être parfois quand il ne le fallait pas…. Je t'aime. Et ça ne cessera pas si aisément. J'espère que ça ne cessera jamais et que c'est aussi ton cas. Tu es le premier avec qui je peux m'imaginer partager réellement ma vie. Aux côtés de qui je peux penser à vieillir."
Manuchan craignait trop qu'Aaron ne s'imagine le perdre au profit de l'autre Mage. Petit à petit, il commençait à connaître plus ou moins la sensibilité de son amant. Aussi préférait-il mettre les choses au plus clair possible.
Et il y avait une façon encore plus simple d'exprimer ce qu'il ressentait.
"Baisse tes barrières…"
Ce disant, le Mage vint prendre le blanc dans ses bras et enfouit son visage dans le cou du héraut. Oh oui, il aimait cet homme et ses sentiments ne faisaient qu'augmenter avec le temps, même s'ils se disputaient parfois, ce n'était rien. Même s'ils n'avaient que peu de points communs, ils avaient les plus importants, les sentiments.
Et la discrétion faisait clairement partie de la nature du Héraut, si bien qu'il fut assez soulagé que sa proposition fût acceptée. Et si sa main dans celle du Mage le rassurait, l'inverse était tout aussi vrai. Il avait besoin de ce contact, histoire de se rassurer, aussi, sur les sentiments de Manuchan à son égard : le fait qu'il resserrât la prise de ses doigts sur les siens restait plutôt engageant, quoi qu'il eût pu ressentir lorsqu'il avait fait face à son ancien amant. Pourtant la question qu'il lui posait n'avait pas vraiment vocation à le prendre en faute, et au fond, il lui semblait qu'il comprenait, au moins en partie, sa position. Aussi quand il vit le malaise de l'Adepte, s'en voulut-il quelque peu d'avoir mis le doigt sur quelque chose d'aussi embarrassant. Il avait besoin de l'entendre, pourtant, de savoir, avec les mots que le Maître des Vents pourrait y mettre, ce qu'il ressentait réellement. Il l'écouta alors presque religieusement évoquer la relation forte qu'ils avaient eue, et ce que les dangers auxquels il avaient pu faire face y avait ajouté d'intensité. Il en avait été témoin, en quelque sorte, plus tard, en Hardorn, et le souvenir des deux Mages ensemble faisait toujours naître une pointe de jalousie dans le cœur du Blanc, pourtant mal placée : qu'il eût une vie avant lui allait de soi, il n'avait rien à y redire... Aussi gardât-il le silence, le laissant poursuivre sur sa lancée. Il lui semblait de toutes les manières, que s'il s'avisait de le couper dans son élan, l'Adepte ne parviendrait pas à aller au bout de sa pensée, et ce n'était pas ce qu'il souhaitait, bien au contraire. D'une certaine manière, il lui semblait qu'ils avaient autant l'un que l'autre besoin de préciser, définir, ce qu'il se passait, ce qu'ils ressentaient, l'un comme l'autre, que c'était la condition sine qua none pour qu'ils pussent continuer à avancer. Main dans la main.
Les deux d'ailleurs, puisque son amant venait de s'emparer de sa main encore libre, se rapprochant encore un peu de lui, les deux lacs glacés qui lui servaient d'yeux plongés dans ses pupilles mordorées. Trop ? Non... Quand il ne fallait pas, peut-être, mais Aaron n'eût jamais affirmé que ces trois petits mots dont il avait si longtemps été privé fussent de trop. Un sourire attendri se dessina sur ses lèvres. Il avait toute confiance en la sincérité de Manuchan à cet instant, et comme il affirmait que l'amour qu'il avait pour lui n'était pas près de s'éteindre, le cœur du Héraut lui sembla manquer un battement. Ce genre de promesses sur le long terme était peut-être un peu prématuré, sa raison le criait quelque part dans un coin de son esprit. Pourtant, il en restait profondément touché. Et à vrai dire, son cœur criait à peu près la même chose, aussi déraisonnable cela fût-il. Oui, il craignait de le perdre au profit de son ancien amant. Il craignait, à vrai dire, de le perdre tout court. Mais sur ce point, il lui semblait bien qu'il n'était pas le seul en ce cas.
Et comme l'Adepte l'invitait à baisser ses barrières, juste avant de venir le prendre dans ses bras et d'enfouir sa tête au creux de son cou, le Héraut s'exécuta sans vraiment se poser de question. Sans doute l'eût-il fait de lui-même, à vrai dire, quand bien même épier les sentiments de l'autre sans sa permission n'était peut-être pas très honorable. Il avait besoin de le savoir, de se rassurer, et les sentiments du Maître des Vents qui l'assaillirent de plein fouet alors firent un tel écho aux siens que lui-même referma ses bras autour de la taille du Mage, le serrant contre lui, avant qu'il ne dépose un baiser au creux de son cou, puis ne cherche ses lèvres. Ce n'était pourtant pas l'endroit, et sa pudeur naturelle reprit finalement le dessus, comme il se détachait légèrement de lui, plongeant ses prunelles olive dans les siennes.
« Ce n'était en aucun cas un reproche, mon coeur... Mais j'avais besoin de te l'entendre dire, je crois. Ce que vous avez traversé tous les deux fait partie de toi, et... aussi jaloux puis-je être de ce que vous avez partagé, je n'ai rien à en dire. Encore moins à t'interdire d'avoir des sentiments pour lui, ça ne s'efface pas comme ça... »
Preuve en était que les siens non plus, ne s'effaçaient pas comme ça. Qu'Enju serait toujours quelqu'un à qui il tiendrait, lui semblait-il, quand bien même elle avait préféré l'abstinence à son amour. Ca ne se commandait pas, après tout. Et aujourd'hui, il n'avait aucune envie de revenir en arrière, de perdre ce qu'il partageait avec l'Adepte au profit d'une hypothétique histoire peut-être légèrement plus conventionnelle aux yeux de certains. Non, il aimait l'homme auprès de lui bien plus qu'il n'avait jamais aimé qui que ce fût, il n'était pas près de faire une croix dessus. Et il était à vrai dire le premier surpris du surnom affectif qui venait de s'ajouter à son discours. Une première, qui était loin de lui déplaire, bien qu'il s'imaginât mal se le permettre en public, une fois de plus.
« Et je ne m'effacerai pas comme ça non plus. »
Il lui semblait au final qu'il avait autant besoin que lui d'être rassuré sur ses sentiments.
« Je sais que je ne suis pas toujours aussi... expansif que tu le souhaiterais, mais ça ne change rien au fait que je t'aime... »
A la limite de son champ de vision, il avisa le retour de l'autre Mage et serra juste un instant la main de son amant dans la sienne avant d'ajouter.
« N'en doute jamais. Quant à lui... Vous avez à l'évidence des choses à vous dire, des points restés trop longtemps en suspens à éclaircir, et même si je ne suis pas sûr d'être le parfait témoin, encore moins un témoin parfaitement neutre, je suis là, quoi qu'il arrive. »
Pas de futur, pas de conditionnel. Il était là, c'était une certitude, il n'y avait rien d'hypothétique là-dedans. Même s'il s'éloignait légèrement, physiquement, dès lors qu'ils étaient en public, ça ne changeait rien à ce qu'il ressentait. Il avait gardé une main de l'Adepte dans la sienne, comme si ça avait pu leur servir d'ancrage... Le retour de Glenn restait annonciateur de tempête, après tout, et il lui semblait bel et bien qu'un minimum de soutien allait être nécessaire... Tout comme il risquait d'avoir besoin de celui de sa moitié, dont la caresse mentale visait clairement à le rassurer, lui aussi, à ce sujet.
La compréhension de son amant rassurait énormément le Mage. Ses joues s'étaient légèrement rosies à l'écoute du surnom affectueux qu'Aaron venait de lui donner. Manuchan n'aimait généralement pas les surnoms, quels qu'en soient le type. Il était plus de ceux qui appelaient un chat de feu, un chat de feu et donc, appelaient les gens par leurs prénoms. Il n'utilisait même pas les diminutifs la plupart du temps. Pourtant, cette fois, ce surnom lui plut pour une raison bien simple : les sentiments qu'il évoquait.
Quant au fait que le blanc lui dise n'avoir pas plus l'intention de s'effacer. C'était un réel bonheur que provoquait là Aaron chez le rethwellan. bien moindre toutefois que celui ressentit à l'entente d'une nouvelle déclaration d'amour. L'homme aux yeux mordorés avait déjà dit ses sentiments à l'Adepte mais s'il avait pu l'entendre des centaines de fois par jour, il était sûr de ne jamais s'en lasser.
Enfin, alors que Glenn revenait vers eux, le Mage finit d'être rassuré par l'assurance d'Aaron de sa présence lors de la conversation qui allait suivre. Manuchan leva la main du blanc à ses lèvres et y déposa un bref baiser en remerciement.
Ces moments de détentes étaient terminés avec l'arrivée du Mage des Montagnes Grises et l'homme à la mèche se crispa un peu alors que son regard tentait de dissimuler sa colère.
Doucement, il se rapprocha de l'autre Adepte, saisit le verre qui lui était tendu et le leva à son tour pour suivre le toast porté par son ancien amant.
Les propos de Glenn rassérénèrent un peu le Mage des Vents Blancs mais il aurait bien apprécié encore un peu plus d'auto-contrition de sa part. Enfin, il avait décidé d'être un peu plus adulte il y avait peu. Autant continuer sur cette bonne résolution…. Pour le moment.
Manuchan n'accepta pas pour autant les excuses de Glenn, il était trop tôt pour cela mais la mention de Perle le fit enfin réagir comme il l'aurait dû au départ.
"A propos, tu a bien dit qu'elle avait été blessée? J'espère qu'elle n'en porte pas de séquelles…"
D'un certain côté intérieurement, il en voulait à son "frère" de n'avoir pas su protéger la jeune fille mais en même temps se rendait bien compte qu'il aurait été plutôt mal placé pour lui faire ce reproche précis. Après tout, elle avait bien été blessée aussi en sa propre compagnie, même s'il avait fait ce qu'il avait pu pour l'éviter.
Manuchan s'assit aux côtés du blanc en buvant une gorgée de vin qu'il appréciait plus que de raison. Mais cette fois, il pensait que ce n'était pas dû à sa gourmandise d'alcool mais plutôt de sa provenance. Ce goût l'emplissait de nostalgie même si c'était probablement plus une vue de son esprit qu'autre chose. Un jour, il lui faudrait vraiment retourner dans sa patrie d'origine. Peut-être y reverrait-il ses parents si tant est qu'ils soient encore en vie. Et peut-être serait-il accompagné….
Il tourna les yeux vers Aaron mais ne dit rien de ses pensées. Ce n'était pas là le moment, une fois encore.
Reportant son attention sur Glenn, il fronça les sourcils à l'entente de ses paroles.
"Commence par les mauvaises. Au point où on en est."
C'était plus fort que lui décidément et il se morigénait un peu d'être si cinglant alors que le sujet semblait bien plus sérieux qu'une histoire d'amour passée.
"Excuse-moi. Continue."
Concentré, il attendait les dites nouvelles, s'attendant à peu près à tout.
Il ne pouvait que comprendre, quelque part, l'empressement de l'autre Adepte à les quitter, fuir cette situation pour le moins désagréable. A vrai dire, lui-même ne se sentait pas vraiment prêt à y assister, et s'il n'était la supplique à peine déguisée de son amant, sans doute eût-il lui-même vidé les lieux depuis longtemps. Mais abandonner l'homme qu'il aimait n'était simplement pas concevable, certainement pas alors qu'il manifestait clairement son désir de l'avoir à ses côtés. Et puis, au final, eux aussi se retrouvaient à avoir des choses à mettre à plat. Il ne s'était même pas vraiment rendu compte du surnom qui avait passé la barrière de ses lèvres. C'était quelque chose dont il n'était définitivement pas coutumier, d'ailleurs, sans le moindre doute pour la simple et bonne raison qu'il n'avait jamais eu personne à qui donner un tel surnom affectueux, personne qui eût jusque-là partagé son affection. Le Mage avait rougi légèrement, puis porté la main du Héraut à ses lèvres alors que son frère de foi revenait vers eux. Une marque d'affection en retour, qui réchauffa le cœur du Blanc. Le calme avant la tempête, cependant, il en était persuadé.
Glenn ramenait donc son vin du pays, comme il le disait, et le nécessaire à sa dégustation. Tout comme Manuchan, Aaron prit place sur le banc qu'il occupait, laissant les deux anciens amants côte à côte, pas vraiment mécontent du verre qui lui donnait une contenance, il fallait bien l'avouer. Il le leva d'ailleurs en réponse au toast proposé par le Maître des Montagnes, mais manqua d'avaler sa première gorgée de travers lorsque ce dernier reprit la parole. C'était sa façon de s'excuser, donc ? Le blond garda le silence, songeant qu'il n'était clairement pas à lui de relever, et que la moindre remarque de sa part ne ferait que jeter de l'huile sur le feu, mais il n'empêchait qu'il ne comprenait pas. C'était donc ça, sa façon de s'expliquer ? Il était salaud et peu sentimental, alors ça explicitait et pardonnait tout ? Certes, le reste était autrement plus important d'un point de vue objectif, puisqu'il s'agissait du bien du Royaume, manifestement, et le Héraut ne pouvait pas vraiment faire de remarque sur le côté bourreau de travail, mais tout de même !
Il n'avait pas à s'en mêler, cela étant, et se contenta donc de son verre. Il se trouva à nouveau fort embarrassé, cependant, lorsque Glenn fit clairement allusion à lui, croisant alors le regard du Mage et se surprenant à comprendre à peu près ce que ce geste de tête semblait vouloir signifier. Quelque part, il l'en remerciait, il n'avait pas envie de devoir se battre pour garder l'homme qu'il aimait – quoi qu'il n'eût pas vraiment hésité à le faire, cela dit : il n'avait aucunement l'intention de le laisser partir. Un hochement de tête en retour, et il avala une nouvelle gorgée d'alcool, en savourant la chaleur douce sur son palais. Et le réconfort qu'il apportait aussi. Clairement, il n'était pas à l'aise ainsi, mais le reste de cette conversation s'engageait davantage dans une voie qu'il connaissait. Et qui semblait vouloir éviter la tempête, étrangement. Se concentrant donc davantage sur son verre, et sur les inquiétudes toutes légitimes concernant et le bien-être de leur camarade adepte partie faire son rapport aux autorités compétentes, comme il disait, et la sécurité de Valdemar, il vit son amant chercher son regard un instant, et s'il n'était guère plus à l'aise que précédemment, il tâcha pourtant de lui transmettre silencieusement son soutien. Qu'il puisait quelque peu dans celui de sa moitié, il fallait bien l'avouer.
De bonnes et de mauvaises nouvelles, donc, les attendaient, et si le ton de voix de son amant n'était pas très amical, il ne pouvait décemment pas lui en vouloir, quand bien même le sujet devenait autrement plus sérieux que leurs aventures sentimentales. Il n'eût sans doute guère réagi autrement à sa place. Posant à son tour ses prunelles mordorées sur l'autre Adepte, lui offrant toute son attention, il attendit davantage d'explications. Il ne doutait pas qu'il finirait par être mis au courant, de par son statut, mais puisqu'il lui était donné d'en apprendre davantage dès à présent, il ne comptait pas perdre une miette des informations que le rethwellan pouvait leur apporter. Bonnes ou mauvaises, donc.
Manuchan appréciait fortement le regard de soutien qu’il percevait chez son amant, a fortiori dans ces circonstances un peu particulières et se promit de récompenser Aaron pour ses loyaux services plus tard…. En privé.
Pour le moment, l’Adepte laissait filer un soupir de soulagement puisque les nouvelles de celle qui avait été un temps très bref son apprentie, étaient plutôt bonnes.
Clairement, la présence du héraut bien que n’étant pas forcément requise, n’était pas non plus gênante puisqu’au final, ils étaient aussi concernés ou le seraient sous peu. C’était là encore un soulagement et Manuchan le supposait, également une meilleure raison pour Aaron de rester ici. Même s’il serait resté de toute façon, au moins pouvait-il s’appuyer sur des affaires officielles et peut-être, être moins gêné.
Alors, Glenn partit dans des explications que Manuchan n’osa interrompre. Pour une fois qu’il était vraiment impliqué et que les choses lui étaient dites, il n’allait pas courir le risque de se retrouver à nouveau sur la touche ! Dire qu’il ignorait encore tout cela de son ancien amant. Comme quoi, ils ne devaient pas être faits pour être ensemble, sinon, ils se seraient mieux connus.
Doucement, Manuchan sirotait son vin en écoutant les paroles du Mage des Montagnes Grises, tentant dans le même temps de trouver peut-être dors et déjà certaines réponses à apporter, ou bien encore, des questions à poser.
Les nouvelles de rethwellan attristaient malgré tout l’Adepte à la mèche. Ainsi, son pays natal partait donc en vrille et dans le plus mauvais sens qu’il put imaginer. C’était d’une part, relativement surprenant, d’autre part, affligeant.
Pire que tout, une coalition semblait se former au sein des Mages noirs. Auraient-ils la puissance ou le nombre nécessaire pour les défaire ? Rien n’était moins sûr. Pourtant, ils avaient de l’aide divine, mais tout de même….
Ce qu’il advenait de l‘orbe de leur déesse était également troublant. Et la mention de Cerath fit s’assombrir gravement une fois encore les yeux du Mage même si, exceptionnellement, aucune autre manifestation de sa colère ne se produisit. Peut-être la proximité d’Aaron y était-elle pour quelque chose, cela devait en tous cas, aider Manuchan à conserver son calme et ne pas partir à tout vitesse vers Karse.
Enfin, Glenn avait terminé ses explications et cela semblait être son tour de parler à moins qu’Aaron ne souhaite commencer mais Manuchan en doutait. Connaissant le héraut et son caractère, il se dit qu’il attendrait certainement d’avoir plus de renseignements avant d’émettre un quelconque avis.
« Concernant la Pierre-Cœur…. Et bien, nous en sommes plus ou moins toujours au même stade. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer et d’y passer la majorité du temps, mais il semble que tout le monde s’y casse les dents. Sans compter que les Adeptes ne sont pas si nombreux et ceux ayant une connaissance suffisante sur les Pierre-Cœur ou ne serait-ce que sur les Nodes est encore moins légion. »
Manuchan baissa les yeux un instant sur son verre, en proie à une évidente réflexion.
« Si l’Orbe a été sentie à Rethwellan, ne peut-on pas supposer que sa présence – et donc celle de Cerath – soit liée d’une certaine façon à la coalition de Mages noirs qui s’y forme ? N’y a-t-il pas de plus amples informations quant aux raisons qui les motivent ? D’ailleurs, s’ils s’avèrent capables d’invoquer des démons, j’aurais tendance à penser que des karsites sont venus à Rethwellan…. Une fois encore, un lien évident se fait. Il va falloir avertir toutes les personnes concernées de près ou de loin par la Pierre-Cœur, mais aussi par la sécurité de Valdemar. Hérauts ou soldats…. Mais ce n’est que mon avis. »
Le Mage tourna la tête pour rencontrer les yeux mordorés et le sérieux de la situation fit que les sourcils froncés et les yeux assombris du Mage ne montraient pour une fois guère d’amour.
« Qu’en penses-tu Aaron ? »
Sous-entendu « qu’en pensez-vous héraut du Sénéchal ? » Mais ils avaient de loin dépassé le stade de la diplomatie hiérarchique. Tous les trois d’ailleurs.
Le Héraut remarquait bien les efforts que l'autre Adepte faisait pour ne pas l'exclure complètement de la conversation quand bien même il n'était pas vraiment parfaitement bien placé lui-même dans tout ça. Concentré sur les informations - et sur son verre - il ne put que ressentir une pointe de compassion pour Perle et sa blessure, ainsi que de soulagement comme Glenn affirmait que la jeune femme s'en sortirait sans séquelle. Pour sa part, il ne la connaissait guère, mais la douleur des autres ne l'avait jamais vraiment laissé indifférent, c'était un fait. Et comme cette information précise renvoyait à d'autres événements impliquant des amies de l'autre Mage, comme il disait, Aaron l'observa, quelque peu curieux de ce qu'il allait annoncer. Trop de mystère dans ces quelques phrases, il avait besoin d'explications, et le fait que son groupe fût impliqué avivait son intérêt. D'autant qu'une conversation axée sur des faits, et le bien du Royaume lui convenait davantage que celle sur les amours passées de son amant, il fallait bien avouer. Aussi négatives que pussent être les informations distillées...
La mention d'Aanor - comme à chaque fois que son nom était prononcé, en réalité - ramenait à sa mémoire la vision de la Déesse dans les flammes de leur feu de camp, durant Hardorn. Quoi qu'il ne l'exprimât pas, ce fait l'avait manifestement touché plus qu'il ne l'admettait lui-même en son for intérieur. Quoi qu'il en fût, il ne pouvais pas jeter la pierre au Maître des Montagnes d'être venu en aide à des prêtresses amies. Quand bien même il estimait qu'un mot même griffonné à la va-vite eût été bienvenu. L'émotion qui submergeait leur hôte n'échappa pas non plus au Blanc, qui dut faire un nouvel effort pour se concentrer sur le reste de son discours et sur ses barrières qu'il faisait clairement mieux de garder dressées. La mention des mages noirs et de l'état du Rethwellan n'étaient pas pour le rasséréner non plus. Encore moins que l'évocation d'une coalition de membres de plusieurs nations ainsi. Si le fait qu'Hardorn fît partie des nations représentées ne le surprenait guère au vu de leur mission passée, la mention de Karse le fit froncer les sourcils... tout comme le visage de la secrétaire karsite s'imposa à son esprit. Mauvaise nouvelle, cela étant, si tous les voisins s'y mettaient.
Et si le seul point positif était que la présence de l'Orbe de la Déesse avait été ressentie, il n'en restait pas moins qu'ils n'étaient toujours pas en sa position. Et clairement pas dans celle, donc, de la protéger efficacement. La mine sombre, le Héraut laissa la parole à Manuchan, hochant malheureusement la tête à l'hypothèse qu'il émettait. Quant à ce qu'il en pensait lui-même...
« Que je crains fort que l'état de guerre ne soit lancé sous peu, au vu du rapport que votre amie soumet donc à l'heure actuelle aux autorités compétentes. Tout comme il semble évident que nous avons à présent dépassé de loin le stade où une solution diplomatique peut-être envisagée. Et je suis du même avis que vous quant au fait que ce conflit-là ne sera malheureusement pas le seul souci... Tout comme je crains qu'il devienne difficile de faire face, si nous devons en venir à être attaqués sur tous les fronts. »
En particulier par des Mages Noirs. Oh qu'il n'aimait pas ça ! Son visage fermé, ses doigts cramponnés à son verre en témoignaient. Aussi droit qu'il avait coutume de l'être, il avait détourné le regard, fixant le vide devant lui. Dans son esprit, c'était Hardorn à nouveau, encore, et encore, et encore. Et l'état de l'Elu de Mernia et le combat contre le démoniste lui donnaient la nausée. Il termina son verre à son tour.
La vision d’Aaron était comme de bien entendu pragmatique et sans atours. Rien de plus normal pour un héraut dans sa position après tout et Manuchan ne pouvait s’empêcher, un peu bêtement de sentir une fierté à voir son amant réagir.
C’était son homme, son héraut et quelque part, un comportement aussi sage faisait plaisir au Mage, aussi fier du héraut qu’il le serait de lui-même pour avoir pu trouver un être aussi extraordinaire qu’Aaron. Même si, en fait, il n’y était pour rien dans leur rencontre.
A contrario, l’Adepte ne ressentait en regardant son ancien amant qu’un mélange de colère rentrée, d’une furieuse envie de mettre des gifles et d’une forme de tristesse pour ce qu’était devenue leur relation.
Enfin, Glenn semblait avoir son importance dans cette histoire, surtout en ce qui concernait les informations qu’il avait à délivrer. Un groupe organisé…. Une armée en clair. Et une armée qui comportait grand nombre de Mages noirs. Il y avait désormais de quoi être largement effrayé. Mais dans le même temps, l’Adepte des montagnes grises disait avoir une théorie…. Manuchan le connaissait suffisamment pour savoir que les compétences de Glenn n’étaient pas à prendre à la légère et qu’il pourrait bien avoir une ébauche de solution.
Manuchan se resservit du vin, faisant de même pour eux trois avant de replonger ses lèvres dans le breuvage alcoolisé.
Oui, tous les groupes concernés devaient être informés au plus vite et les choses avançaient bien à ce niveau d’après Glenn.
« Pour ma part, je suis évidemment prêt à appuyer tes démarches dans la mesure de mes possibilités, principalement envers les Mages d’ici en tout cas car je crains de n’être d’aucune utilité ailleurs, je ne suis pas si influent, mais en revanche…. »
Manuchan tourna son regard vers le blanc.
« Je connais quelqu’un qui l’est assez…s’il est d ‘accord. »
Un test auprès de la Pierre-Cœur…. Ça sonnait d’avance très risqué connaissant l’état de la dite Pierre…. Manuchan ne voyait pourtant pas de raison de refuser son concours si les autorités concernées approuvaient ce test…. Un Compagnon en l’occurrence apparemment. Inutile de chercher plus loin, effectivement si les Compagnons disaient oui, alors, ils pouvaient y aller en toute sérénité. Enfin, sauf sur les résultats de l’expérience, mais ils n’en étaient pas là.
« Quel genre de test ? »
Manuchan avait parlé à voix haute sans regarder pourtant Glenn, simplement car il ne s’était pas vraiment aperçu l’avoir dit tout haut.
Le ressenti du Mage face à la situation rethwellane transparaissait de ses propos, quand bien même le Héraut maintenait ses boucliers dressés – ce qui était sans doute le mieux à faire à cet instant, d'autant qu'il se devait de garder l'esprit clair, loin des perturbations que leurs ressentis respectifs, à tous trois, risquaient d'engendrer – et il ne pouvait que comprendre celui-ci : Il ne pouvait bien évidemment pas cautionner qu'un gouvernement quel qu'il fût pût soutenir les agissements de Mages de Sang, ni rester insensible à la détresse de tout un peuple... ni – encore moins – à la menace que cela représentait pour les autres peuples, y compris - et surtout - Valdemar. Aaron aimait son pays, c'était indéniable, mais plus encore, il aimait l'Humanité au sens large, et le malheur de quiconque ne pouvait pas le laisser un instant indifférent. C'était dans sa nature, et le soutien de sa moitié alors que Glenn poursuivait son récit n'était pas de trop. S'il avait été plus impulsif, sans doute fût-il déjà parti, lui-même, dans l'optique de détruire cette menace autant pour les nations avoisinantes que pour les civils, mais il n'était pas fait ainsi - et c'eût été du suicide par ailleurs -, et il lui semblait évident à présent que la situation requerrait rien moins qu'une stratégie militaire parfaitement réglée... ce qui n'était pas vraiment de son ressort. Pas plus que ce qui concernait la Pierre-Coeur, et il garda à nouveau le silence comme celle-ci était évoquée.
Il fut cependant assez surpris des théories de l'ancien amant de Manuchan, et il garda le silence, se contentant de rester concentré sur ses propos. Son regard, pour qui le connaissait suffisamment, pouvait peut-être témoigner de son étonnement, mais ils étaient sans le moindre doute trop concentrés sur le sujet du Sombre et de ses Mages Noirs. La poigne du Blanc s'était pourtant resserrée sur son verre. Il n'aimait pas ce sujet, il n'aimait pas cette menace, et ils faisaient un peu trop écho avec son expérience en Hardorn - qui l'avait sans doute marquée plus qu'il n'acceptait de l'admettre. Et que des représentants de cette nation eussent été présents lors de l'attaque que le Mage évoquait n'était à ses yeux absolument pas inconcevable, bien au contraire. Quant aux démons, il ne pouvait qu'acquiescer : ils ne sortaient effectivement pas de nulle part, et l'évocation de mages démonistes lui faisait froid dans le dos, bien qu'il restât aussi stoïque que d'ordinaire, autant que possible, attendant la fin du récit.
Le roi et son Héraut étaient donc mis au courant des événements par Perle, et à cette mention, le Héraut du Sénéchal hocha simplement la tête. Il ne releva pas lorsque Glenn évoqua qu'il en entendrait parler prochainement, supposant pourtant qu'il serait très certainement lui-même présent lors de ces réunions que l'Adepte évoquait – des conseils de guerre, sans le moindre doute à ses yeux.
Il avait également bien décelé sa grimace à l'évocation d'un conflit ouvert, et ne pouvait que partager ce ressenti. Pourtant, il voyait mal comment ils pourraient s'en sortir autrement. D'ici là, de nouvelles missions pour recueillir plus d'informations sur les implications des gouvernements karsites et hardornans semblaient effectivement nécessaires. Et il y avait en effet de fortes chances pour que des Hérauts fussent envoyés pour de telles missions... Lui-même en particulier, peut-être, de par ses connaissances linguistiques et culturelles. Il avait disons un certain passif avec Karse, après tout.
« Je ne crois pas me tromper en affirmant que vous n'agirez pas seul, Glenn. Je crains fort que, sans pour autant précipiter les choses, nous soyons dans l'obligation de réagir très rapidement en effet. Et les Hérauts de Valdemar ne sont pas vraiment du genre à laisser faire ce genre de choses sans réagir. »
Ce n'était pas son cas, et il était parfaitement convaincu qu'il en était de même pour le reste de sa communauté. Quant à la faveur qu'il demandait, Aaron fronça les sourcils, pris de court. Mentalement, il interrogeait sa moitié, bien que pour l'heure, la requête lui parût parfaitement obscure. Raïna, sans grande surprise pour lui, était prête à se porter volontaire, si ce test s'avérait nécessaire, mais tout comme lui, elle souhaitait en savoir davantage – lui-même n'était pas prêt à sacrifier sa moitié sans savoir où il mettait les pieds, quand bien même il eût clairement été capable de ce sacrifice lui-même si celui-ci s'avérait indispensable. A l'idée que le test en question pût mal tourner et qu'il pût perdre son Compagnon, un frisson glacé lui parcourut l'échine - et le souvenir de l'Elu de Mernia lors de la mission en Hardorn n'arrangea rien - et il accueillit avec une gratitude évidente le remplissage de son verre de vin. Un hochement de tête pour remercier le Maître des Vents qui venait de le resservir, et il vidait une partie du contenu de son gobelet, tandis que Manu reprenait la parole. Il avait la possibilité d'intercéder auprès des Mages présents à Valdemar et lui-même appuierait à l'évidence les propositions du Mage des Montagnes Grises auprès des Hérauts, dès lors qu'il aurait davantage d'informations à ce sujet. Quand son amant évoqua sa position parmi la hiérarchie héraldique à mots couverts, le Blanc ne put s'empêcher de sentir ses lèvres légèrement s'étirer, maigre sourire qui retomba presque aussitôt, d'autant que la question du test évoqué par l'autre Mage revenait dans la conversation. Qu'il fût Héraut du Sénéchal importait peu au final, et il n'avait pas vraiment l'habitude ni de se cacher derrière un titre, ni de le mettre particulièrement en avant. Au fond, ça ne changeait rien. Il représentait le cercle héraldique parmi leur petite assemblée, c'était tout ce qui importait.
« Mon registre de compétences est d'ordinaire d'ordre plus juridique que militaire ou stratégique, mais au vu de la situation, je pense pouvoir affirmer avec certitude que personne ne s'arrêtera à ça. Si votre amie Perle est déjà en train d'exposer tout cela aux Hérauts Arthon et Aranel, je ne doute pas un instant que le Héraut du Maréchal soit au courant à son tour dans très peu de temps, quitte à ce que je le mette moi-même au courant à la fin de notre entrevue d'ailleurs... Quant à ce test que vous évoquez, pouvez-vous nous en préciser la nature ? Je ne risquerai pas mon Compagnon – quand bien même elle semble tout à fait disposée à proposer ses services elle-même – sans savoir où nous mettons les pieds. »
Ce qui n'empêchait pas qu'il était, à l'évidence, prêt à courir le risque. Et à appuyer l'ex de son amant, donc, pour le bien-être général. Au moins sur ce sujet, les deux hommes arriveraient-ils sans doute à se comprendre, quand bien même ils ne fonctionnaient, à l'évidence, pas du tout de la même manière dès lors que le sujet était plus personnel. A cet instant, c'était devenu parfaitement secondaire.