Méra sourit devant la candeur de son ancienne pupille. Ah, si seulement le pays entier pouvait être aussi ouvert d'esprits que les habitants des Collegia! Malheureusement, si l'homosexualité n'était pas juridiquement réprouvée, elle pouvait l'être socialement, surtout dans les petites communautés ou parmi les plus conservateurs.
«Justement... à Haven, surtout ici, c'est assez commun. Mais je t'assure qu'ailleurs, c'est un peu selon l'ouverture d'esprit des gens. Or je doute que les parents de Beltran soient de tels progressistes. Réfléchis à tes connaissances nobles. Tu connais beaucoup de parents qui seraient ravis que leur fils soit shyach? Qu'il ne produise jamais d'héritier?»
Méra était d'une certaine manière touchée que Mina tente de l'aider pour approcher le maître d'armes de ses rêves. Mais si elle avait besoin de conseils de séduction, ce n'était pas auprès de sa pupille qu'elle irait les chercher.
«Approcher Alemdar pour lui demander quoi? La permission de draguer son ancien bras droit? Non seulement il se foutrait de moi, mais en plus, je doute qu'il comprenne ma démarche. Je te rappelle qu'il est absolument chaste. Totalement. Les mères les plus ambitieuses n'ont pas arrêtés de lui envoyer leurs filles dans les pattes, et aucune n'a su ne serait-ce que vaguement l'intéresser. Ce mec, c'est pire qu'un religieux. Même moi, j'ai tenté ma chance, histoire de rigoler un peu. J'aurais eu plus de succès en draguant Joald!»
L'orientation du bras droit du Doyen n'était un secret pour personne, dans le cercle.
Mina sembla intéressée par le différend qui l'opposait à Shirryl sur la question de poulinage. Mais celle-ci analysa mal la raison qui poussait Méra à s'y opposer.
«J'ai passé trois ans en campagne militaire et tu me connais assez pour savoir que je ne suis pas restée chaste tout ce temps... la durée, comme tu dis, ne m'a pas spécialement posé problème... Le problème est ailleurs... Je déteste travailler ici. Car rester à Haven, si tu n'es pas professeur, c'est forcément devoir servir dans les cours de justice, si tu sais lancer l'Enchantement de Vérité. Or je déteste être coincée dans un tribunal pour de longues marques, à attendre qu'on ait besoin de moi. À la limite, j'aime bien être assignée à un poste de garde, ça c'est marrant, mais souvent, tu ne peux pas faire que ça, tu es forcément envoyé au tribunal aussi. Je vais normalement repartir en tournée au printemps, mais en attendant... Et si Shirryl pouline, aucune chance que je reparte avant l'année prochaine.» Elle soupira. «Au pire, j'essaierai de demander à donner des cours, genre l'équitation. Pour les étudiants avancés par exemple. Ou de pistage et de traque.» Elle haussa les épaules. «De toute manière, Shirryl fera comme bon lui semble.»
: Ah, enfin tu te montres raisonnable! :
: Hey, ce n'est pas une raison pour te jeter sur Taver! :
: Taver, la lumière te met particulièrement en valeur. On dirait un dieu des temps anciens...:
Méra eut l'impression que Shirryl lui faisait volontairement partager son échange avec Taver. Elle fronça les sourcils.
: Je te rappelle que j'ai besoin de toi pour aller jusqu'à l'emplacement de la Foire! :
: Hm? Oui oui, je sais. J'organisais juste ma soirée.:
Méra secoua la tête, écœurée.
Reparler de son aventure avec Mark lui avait fait plus mal que prévu. Elle sentait encore, après tout ce temps, un petit pincement au cœur au souvenir de son histoire passionnée avec le grand barbu. Elle aurait aimé que... que quoi d'ailleurs? Que Mark ne soit pas macho et qu'ils soient encore ensemble? Cette relation aurait-elle vraiment tenu sur le durée? Et pour aller vers quoi? Elle ne le saurait jamais, et c'était sans doute ça qui rendait les choses difficiles.
Le commentaire d'Irmingarde sur son amant fit sortir Méra de ses idées noires et elle sourit.
«Beltran est plutôt mignon avec ses inquiétudes. Mais il est trop bien élevé pour oser te faire des remarques. Mais en général, j'ai toujours détesté les hommes qui se sentaient obligés de me protéger contre le grand méchant monde. C'est souvent ridicule, d'ailleurs, vu que je sais me défendre aussi bien qu'un homme, survivre en pleine nature et que j'ai un Compagnon à mes côtés.»
Elle avait englouti un petit déjeuner assez impressionnant tout en parlant. Elle savait qu'il fallait manger, sinon elle aurait vite froid. Tandis que Mina siphonnait le restant de sa tasse de thé, Méra enfournait le restant d'une énorme tartine dans la bouche, qu'elle fit passer d'une grande gorgée tiède.
«Nous ridiculiser... quel optimisme!»
Méra se leva à son tour et précéda Mina hors du réfectoire.
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