«Aranel aurait su comment lui dire, mais elle aurait insisté pour que ce soit toi qui le lui avoues! Elle ne t'aurait pas laissé te défiler. Franchement, Saskia aura très bientôt fini sa formation, elle fréquentera très vite le Cercle. Tu dois le lui dire avant. Tu sais comment finissent nos soirées... tu as vraiment envie qu'elle entende une de ces anecdotes croustillantes sans être avertie?»
La peine de Arthon semblait trop forte encore pour qu'il se laisse aller à pleurer. Peut-être avait-il tellement retenu ses larmes qu'elles s'étaient figées quelque part dans son cœur. Ou alors peut-être était-ce la colère qui l'empêchait de pleurer. Il semblait en vouloir à tout le monde, à Aranel d'être morte, à Alemdar de l'avoir remplacé, à lui-même de ne pas avoir su protéger son amie, sans doute aux Dieux de l'avoir reprise si vite.
«Oui, elle est partie trop tôt, c'est certain. Elle était destinée à être ton Héraut plutôt que celui de ton père... mais les choses se sont passées différemment. Et avant d'être ton Héraut, c'était ton amie, presque ta sœur. Nous avons tous été Élus en même temps, nous avons tous fait nos classes ensemble. Nous étions plus proches que bien des frères et sœurs de sang. C'est normal d'en souffrir... mais il est temps d'accepter sa mort. Lui en vouloir à elle d'être partie, et au gamin de l'avoir remplacée, ça ne te mènera pas loin. Es-tu allé voir sa tombe? Et sa famille? Peut-être devrais-tu prendre un peu de temps pour cela.»
À défaut de pleurer, Arthon faisait au moins honneur à l'alcool. C'était déjà ça. Wylan lui tendit la bouteille dont la fin semblait maintenant proche.
«Les Dieux m'ont toujours laissé tranquille, et cela me convient parfaitement. Quant à Aanor... je ne sais pas. Elle est là, c'est certain. En tout cas ses adeptes l'affirment. Pour moi, elle n'a pas beaucoup plus de réalité que les autres Dieux. Je ne doute pas de son existence, comprends-moi bien. Mais ces histoires me semblent bien trop loin de mon quotidien. Je n'ai jamais été mêlé à cette affaire. J'avais bien assez à faire avec les problèmes relevant des hommes...» Il haussa les épaules. «Je pense qu'elle saura se faire entendre quand il sera en notre pouvoir de l'aider.»
Plutôt que de reprendre la bouteille des mains du Roi, il ouvrit la seconde et but une longue goulée.
«En parlant de Dieux... toujours pas de nouveau bébé à l'horizon? Je pensais que vous nous feriez une vraie tribu!»