[justify:1n7u68i2]S'il savait... Pour Aaron, c'était déjà beau qu'il ait posé cette question, aussi détourné et châtié son langage eût-il pu paraître. A son âge, c'était très certainement risible pour beaucoup de gens, mais... Il était comme il était, il ne concevait pas de séparer la chose des sentiments qu'il ressentait, et on ne pouvait pas vraiment dire qu'il eût été très heureux à ce niveau-là. Si bien que le rire de l'Adepte n'arrangea pas vraiment son embarras, et il détourna le regard, sirotant résolument un verre de plus – il fallait bien trouver un moyen de se donner une contenance, n'est-ce pas ? Lorsque Manuchan reprit la parole, cependant, ses prunelles mordorées revinrent vers lui. Ce qu'il se passerait ? A vrai dire, il n'en savait fichtre rien. A priori, rien de spécial... Parce qu'il ne doutait pas que la question visait clairement à savoir s'il avait une chance d'aller jusqu'au bout du désir que le Héraut avait perçu plus tôt. Sauf que, donc, Aaron n'était pas comme ça. Il ne se laissait pas aller ainsi, c'était contre sa nature. Qu'il eût affaire à un homme ou une femme n'y changeait rien.
Et d'ailleurs, justement, est-ce que c'était bel et bien le cas ? Est-ce que ça ne changeait rien ? Il n'en savait absolument rien non plus. S'il devait donner son avis sur le physique du Mage, il aurait sans doute souligné ses grands yeux clairs, sa silhouette générale, peut-être éventuellement sa voix et ses mains aussi. Tout comme il aurait évoqué les traits fins et les épaules carrées d'Estevan, et pourtant, il n'avait jamais été question de quoi que ce soit de ce genre avec son ami. Justement parce qu'il était son ami, son frère, presque. Les deux personnes qui avaient réellement fait battre le cœur du Blanc restaient des femmes, et il n'avait pas souvenir d'avoir jamais ressenti la moindre attirance pour un homme auparavant. Pourtant aujourd'hui, il restait malgré tout assez peu capable de déterminer ce qu'il ressentait. La faute à l'alcool, à son Don naissant ? Un peu des deux sans doute...
« A vrai dire... Je ne fais pas ça sans sentiments alors... »
S'en tenir à la vérité, puisque c'était bel et bien le cas, sans rentrer dans les détails supplémentaires, lui semblait plutôt judicieux. Ne pas se prononcer sur la question du sexe de l'autre puisqu'il n'était plus très sûr de savoir quoi y répondre, et éviter aussi de parler de son inexpérience pour le moins atypique. Ah... L'amour... Ca le ferait définitivement toujours tourner en bourrique, c'était une certitude. Combien de fois Estevan avait-il essayé de lui faire partager son point de vue complètement opposé au sien ? Il ne comptait plus les demoiselles dont il avait dû refuser les avances avec autant de tact que possible... Pas vraiment son fort, mais heureusement, sa bonté naturelle et sa sincérité finissaient par calmer le jeu... Dans tous les sens du terme d'ailleurs.
Enfin son embarras, sa peine lancinante, qui le suivait jour et nuit, sa frustration aussi, il restait homme après tout, tout ça ne justifiait pas qu'il se montre sec avec l'Adepte face à lui. Il lui avait présenté des excuses, donc, que l'autre ne trouvait pas justifiées et pour cause. Un léger sourire étira les lèvres du Héraut. Il fallait vraiment qu'ils arrêtent de se retourner ce genre de politesses, et de réagir un peu de la même manière, aussi.
« Je n'en prends pas ombrage, si ça peut te rassurer. A vrai dire, je ne sais pas très bien ce que tu soulignes exactement... »
A ses yeux, le pire que le Mage avait pu lui infliger, ça restait sa peine involontairement transmise... et un peu son désir aussi, puisqu'il avait tendance à le mettre mal à l'aise. Des dommages involontaires, donc. Un autre sourire plus triste accueillit les propos suivant du Maître des Vents Blancs. Ca faisait partie d'eux, oui. Ils ne pouvaient s'en défaire, comme de sa Magie, ou de son Compagnon. Et quant à ce point, Aaron n'en avait d'ailleurs aucunement l'intention.
* Tu m'en vois ravie.
- Tu en doutais ?
- Mmh... Non pas vraiment. *
Le Héraut leva son verre, une façon silencieuse d'approuver ses propos... malheureusement, sans doute. En tout état de cause, ça valait bien un peu d'hydromel de plus. Et donc, la nécessité grandissante de puiser l'énergie magique de l'Adepte afin de ne pas voir ses barrières s'effriter complètement. Fort heureusement, ce qu'il lui transmettait depuis quelques minutes faisait parfaitement son office. La façon de le remercier à laquelle Manuchan pensait aurait sans doute manqué d'achever le Héraut une nouvelle fois, concordant dangereusement avec les allégations de son Compagnon qui avaient déjà failli l'étouffer l'instant d'avant. Il ne voyait pas bien ce que sa conversation pouvait avoir de si agréable qu'elle pût faire office de remerciement cependant. D'ailleurs, il devenait un peu trop bavard, l'alcool aidant, et ça ne présageait rien de bon pour sa capacité à rentrer dans ses pénates tout à l'heure. Bah... il verrait bien en temps et en heure. Au pire – quoi qu'il n'eût pas qualifié ça ainsi - il passerait une nuit de plus dans le Champ des Compagnons auprès de sa moitié...
Ce qui ne changeait guère malgré son esprit embrumé, c'était son intolérance à la souffrance d'autrui, et donc, il s'était fait un devoir de faire en sorte que Manuchan n'usât pas de son bras blessé, quand bien même il ignorait ce qu'il avait exactement.
Pourquoi pas ? Le trouble de son interlocuteur devenait perceptible, même pour lui qui avait donc ses barrières suffisamment élevée pour que ce ne fût pas du à l'Empathie, et qui pourtant n'était pas très doué à ce genre de jeu de devinettes... Peut-être eût-il mieux valu alors qu'ils cessent tout contact, peut-être même toute conversation à cet instant ? Le Héraut n'avait pas réellement envie de rentrer directement dans ses quartiers, sans qu'il identifiât réellement pourquoi la compagnie du Mage lui plaisait – simple compagnon de beuverie comme avait pu l'être Wylan quelques jours auparavant, moyen d'élever sa protection mentale grâce à son énergie magique – il en éprouverait sans doute quelque honte – ou tout autre chose encore ? - mais il ne souhaitait clairement pas imposer sa présence à l'Adepte, qui plus était alors qu'il savait pertinemment qu'il ne pouvait pas lui donner ce qu'il souhaitait. Pas sans amour, donc.
La main de Manuchan se posa pourtant sur sa peau, à nouveau, et ses doigts se refermèrent sur sa main. Un contact qui l'aidait à renforcer ses défenses instantanément. Et qui ne lui déplaisait pas non plus, pourquoi eût-ce était le cas ? Parce que les commérages risquaient d'aller bon train, donc ? Le sourire d'Aaron, s'agrandit, emprunt d'une certain attendrissement aussi. Qui s'était réellement soucié de ce qu'il allait ressentir ces derniers temps ? S'il devait compter les personnes qui eussent pu comme son interlocuteur actuel, s'inquiéter de l'impact qu'une rumeur quelle qu'elle soit eût pu avoir sur lui, il n'était pas sûr d'avoir besoin de davantage que les doigts de sa main libre.
Et au demeurant, il avait beau être le Héraut du Sénéchal, il restait convaincu que sa vie privée ne devait pas avoir quoi que ce soit à voir avec sa fonction. Quand bien même sa vie privée, réelle, restait particulièrement désertique, il ne doutait pas qu'il en existait une autre, déformée, qu'on pouvait tenter de lui attribuer... Parfois, il se demandait ce qu'elle relatait, d'ailleurs, cette vision fantasmée qu'on pouvait avoir de lui. Et parfois, il était bien heureux de ne pas savoir, pour peu qu'il finisse par ressentir davantage de frustration encore de ce qu'il désirait et n'arrivait pas à obtenir...
« Ca ne me dérange pas. Enfin je veux dire... Je m'en fiche éperdument... Qu'ils croient ce qu'ils veulent après tout, qu'est-ce que ça change ?... »
On en reparlerait peut-être le jour où ça nuirait à son devoir – ce qu'il n'espérait pas, et ne comprendrait pas non plus d'ailleurs -, mais à cet instant, ça n'était pas le cas, n'est-ce pas ? L'Adepte avait baissé le regard, cependant, un acte de contrition qu'il ne comprenait pas. Et la main du Héraut serra légèrement la sienne en retour, comme pour attirer son attention à nouveau.
« Ton énergie m'aide considérablement, j'ai pas vraiment l'intention de me priver de ton assistance juste parce qu'une ou deux commères auront la langue trop pendue dans les jours à venir. Et puis on a une bouteille à terminer, non ? »
S'ils ne commandaient pas en prime sa petite sœur – quoi qu'il n'y avait aucune certitude quant au fait qu'il puisse encore ingurgiter beaucoup d'alcool pour sa part, cette troisième bouteille attaquait une partie de son sens de l'équilibre -, mais il passa ce point de détail sous silence : aucun des deux n'avait vraiment besoin de mettre l'emphase sur ça, assurément.
Et son cerveau montrait manifestement qu'il cheminait à présent complètement à sa manière, parce que sautant du coq à l'âne, Aaron demanda de but en blanc.
« D'ailleurs, quand on aura terminé, veux-tu faire la connaissance de Raïna ?... »
Ca n'avait absolument rien à voir avec quoi que ce soit, donc.
Après tout ce qu'elle avait pu échanger avec le Blanc en pensée, ils n'étaient plus à ça près, et il ne se rendait plus tout à fait compte que si Raïna connaissait au moins une partie des pensées – ou surtout du ressenti, donc – de Manuchan, et que lui-même l'avait en face de lui, pour ce qui concernait le Mage, il ne l'avait aperçue, elle, qu'en Hardorn, et peut-être un peu dans le Champ des Compagnons, guère plus. Tout ce qu'il songeait, c'était qu'ainsi, elle aurait le Mage en face à face, cette fois-ci, et que pour une fois qu'elle semblait apprécier quelqu'un, il pouvait bien se permettre de les présenter de façon disons plus officielle.[/justify:1n7u68i2]