«Ce nom ne me dit rien du tout. Mais bon, c'est à peine si je connais les noms des plus grandes familles nobles du pays...»
Thalyana ne sentait jamais aussi inculte et campagnarde que lorsqu'il était question de ragots concernant les nobles. Elle n'y connaissait absolument rien. Ni les noms, ni les titres, ni même l'importance que chacun pouvait avoir. Elle avait un Roi, une Reine, et c'était les deux seuls nobles qui, à son avis, devaient compter. Elle trouvait le monde de la noblesse bien trop compliqué à son goût, et bien trop éloigné de ses préoccupations quotidiennes.
La future mère ne sembla pas percevoir la petite pointe d'humour que Thalyana avait tenté de mettre dans son commentaire. Sans doute avait-elle manqué de délicatesse sur le sujet, mais l'épuisement quasi chronique des Hérauts étaient un sujet de moqueries (affectueuses) habituel chez les Guérisseurs.
«Il y a toujours des Hérauts surmenés. Même en temps de paix. Même quand tout va bien. La moitié de mon travail consiste justement à m'occuper de Hérauts surmenés. Enfin, j'imagine qu'avec la guerre, et tous les traumatismes qu'elle engendre, je n'aurai plus à m'occuper de cas aussi... simples.»
Les Guérisseurs de l'Esprit étaient rares. Fort rares. Avec son retour, ils seraient trois en poste à Haven. Ce qui était trop peu, mais personne n'y pouvait rien. C'était un Don peu courant et qui était rarement assez fort pour mériter d'être formé. Son propre Don à elle aurait très bien pu ne jamais se réveiller. Il avait fallu des circonstances particulières pour que le bief s'ouvre, circonstances qui avaient failli la tuer par ailleurs. Elle ne s'en était sorti que grâce à l'intuition de Kalaïd, qui, grâce à leur Lien, lui avait évité de perdre l'esprit en même temps que sa "patiente".
La Guérisseuse ne commenta pas les compétences martiales d'Isabeau, elle ne s'en estimait pas le droit. Elle-même savait se défendre, en bonne partie parce qu'elle savait très précisément où frapper pour incapaciter rapidement un opposant. Mais elle était incapable de juger des talents des autres dans ce domaine.
Thalyana bâilla longuement. La chaleur, le calme, le confort des sièges, tout cela l'endormait. Il fallait qu'elle se lève, avant d'être incapable de faire un mouvement à cause de la fatigue et de la raideur musculaire.
«Isabeau, je suis ravie d'être ici, mais si je ne pars pas très vite, tu vas devoir m'improviser un lit dans ton salon. Je commence à m'engourdir et j'ai un appartement à réinvestir. Aérer, mettre des draps propres, aller chercher de l'eau, du pain... Rien que d'y penser...»
Rien que d'y penser, elle en avait déjà marre. Peut-être pourrait-elle manger au réfectoire des Collegia, plutôt que cuisiner pour elle et sa fille? Cela lui ferait une tâche ménagère en moins pour aujourd'hui. Elle pouvait aussi ne refaire que son propre lit, et permettre à Amalia de dormir avec elle. Encore une corvée de repoussée.
La jeune femme regarda sa fille endormie sur ses genoux et soupira. Puis elle plaça ses bras de manière à pouvoir la porter en se relevant. Ce qu'elle fit avec force grimaces. Elle avait déjà mal aux jambes. Toute délicate qu'ait été la manœuvre, elle réveilla pourtant Amalia qui lança des regards endormis autour d'elle. Cela arrangea Thalyana qui put la poser par terre.
«On va rentrer à la maison.»
La fillette ne dit rien, mais fit oui de la tête. Thalyana se tourna vers Isabeau avec un sourire.
«Je pense qu'elle réclamera pour te voir dès qu'elle sera certaine que je ne vais pas repartir. J'espère que tu es toujours d'accord pour t'occuper d'elle parfois. Et il va falloir que je trouve une solution pour la journée. Je sais que ma mère... mais mon père, lui, n'a aucune envie de venir vivre ici. Et même si maintenant il aime Kalaïd, je ne crois pas qu'il supporterait de me voir vivre avec un autre homme que lui. Enfin... chaque jour son problème. Je verrai ça demain, ou après-demain. Je doute d'avoir plus que ces deux jours de congé.» Elle consulta Mina du regard. «Tu pars maintenant aussi, ou tu aimerais rester plus longtemps?»