La soirée était avancée. Une soirée fraîche, humide, brumeuse... Peu avenante.
Lorsque la jeune cavalière mit pied à terre dans la ruelle, elle referma son manteau carmin, tentant tant bien que mal d'empêcher le froid vicieux d'agraver son état, mais en vain. Elle avait froid, elle en tremblait presque.
En regardant autour d'elle, elle essayait de reprendre ses repères dans la ville, qu'elle avait quitté voilà quelque temps, une éternité pour elle. Mais rien n'y faisait, son souvenir était comme voilé. Deux choses seulement tournaient en permanence dans son esprit: le corps d'Ysaline et Fitz. L'un comme l'autre, elle n'avait pu l'effacer. L'un la réveillait la nuit en sursaut, l'autre l'apaisait quand elle se rendormait.
C'est pour ces deux raisons qu'elle était revenue, elle devait savoir ce qui c'était passé.
Et elle devait revoir Fitz.
En toussant sèchement, elle s'approcha de la porte close d'une auberge louche en espérant y trouver un gîte et un couvert, au moins pour cette première nuit. Elle n'avait guère de force de faire la fine-bouche, elle voulait juste se reposer et tenter de reprendre un peu de force.
Après avoir attaché la bride de Roux-Poil devant l'établissement, elle y pénétra en se parant d'un masque inflexible et déterminé, en espérant que cela rebuterait le tenancier à lui poser des questions indiscrètes.
L'accueil que la femme au visage vérolé lui réservait avait le mérite d'être dénué de chaleur et de bienveillance. Elle toisa la voyageuse d'un regard critique et inquisiteur.
"Ah bin, qu'est ce qu'elle nous veut la p'tite dame..." maugréa-t-elle quand Kayann s'approcha.
"Un repas pour ce soir et une chambre pour la nuit" répondit-elle simplement.
" T'es pas bien grosse, t'as de quoi réglé? Tu viens d'où?" continua la tavernière en se penchant vers elle.
Kayann, irritée, sortie une bourse de son manteau et le jeta sur le comptoir en retorquant:
" Ne t'inquiète donc pas de ta fortune et de la mienne, je paie ta cuisine, ton toit et ton silence."
La vérolée toussota sous le coup de la surprise mais après avoir jugée de la contenance de la bourse, hocha la tête en grognant et lui tendit une clé.
" C'est au premier, la chambre à droite. Je t'amène ton repas dans une heure. Pour le bain, c'est plus cher."
Kayann ne répondit rien, saisit la clé et monta dans la chambre posée son bardat.
Peu de temps après, on toqua à sa porte. Un jeune garçon lui amenait son repas. Il ne devait pas avoir la douzaine. Elancé et frêle, il portait des habits trop courts pour lui, avait le visage et les mains crasseuses mais, était-ce la fatigue, Kayann décela une lueur intelligente dans son regard sombre.
"Pour votre cheval, la mère dit qu'on peut le mettre à l'écurie. Je m'en occupe si vous voulez."
La Shin'a'in acquiesca et le pria d'attendre. Elle griffonna un petit bout de papier et sortit deux pièces de ses affaires.
"Porte ce mot à la caserne, pour un soldat du nom de Fitz. Et voici pour ta paie. Si mon cheval est bien traité, tu en auras deux de plus quand je partirai."
Sur ce, elle referma la porte et s'effondra sur le lit, pour sombrer dans un profond sommeil sans rêve, laissant la pitance refroidir sur la table.