Les hérauts étaient de plus en plus nombreux dans le champ, des yeux Fitz cherchait par tous les moyens à contenir tout risque. Mais ses hommes semblaient persuadés que tout allait bien... Si on faisait exception de la douleur qu'il lisait sur chaque visage à ses cotés.
Et lui pour l'instant ne savait rien, et cela le tiraillait au plus profond de son être. Les visages de héraut qu'il connaissait, il ne les retrouvait pas, il ne les voyait pas, excepté le roi, et le sentiment qui le prenait à la gorge se faisait si présent, qu'il était finalement heureux que le silence soit de mise, il aurait été incapable de parler à ses hommes pour donner des ordres.
Ce fut Jalena la première qui brisa ce silence. Enfin... Le silence du crâne du lieutenant seulement. Il reconnut assez vite la jeune femme, qu'il avait déjà croisé, et dans des circonstances similaires. Lorsqu'elle s'adressa à lui par l'esprit il n'en fut pas plus surpris que cela, la première fois avait été plus étonnante, et plus brutale, cette fois il s'y était préparé dès qu'il avait reconnu son visage.
Pourtant le lieutenant chancela.
Pas à cause de la voix... Non ce qu'elle disait... Ce n'était pas possible. C'était... Ses jambes ne le portaient plus, le lieutenant chutait. Il savait très bien que face à eux il n'avait aucun droit, et il devait rester le soldat qui attendait les ordres et veiller à ce que tout soit fait.
Mais pourquoi elle ? Pourquoi cela devait être elle ? N'importe qui d'autre il aurait pu continuer à faire son devoir, n'importe qui d'autre il aurait pu continuer à être le soldat à la hache. Mais elle ?
Les images lui revinrent, celles de sa première rencontre avec la héraut, celles de leurs missions où il s'était inquiété pour elle, ses différents rapports où elle s'était inquiétée pour lui. Il aurait laissé tomber n'importe quelle mission, et même Valdemar, sur un seul et unique mot d'Aranel.
La hache du lieutenant s'enfonça petit à petit dans le sol, sa main crispée à en saigner sur le manche. Et alors que son sang coulait le long de son arme, des gouttes d'eau s'écrasèrent sur le sol à ses pieds.
Il leva sa main gantée vers sa joue, en retira une larme, et la regarda.
Il pleurait.
C'était indéniable, et il était bien incapable de se contrôler ou de le cacher. C'était la deuxième fois de sa vie qu'il versait des larmes. La deuxième fois qu'il souffrait ainsi de la perte de quelqu'un.
Fuir. Fuir à toute jambe comme l'enfant qu'il était toujours au fond de lui, fuir aussi vite que possible. Et frapper aussi, frapper de toutes ses forces quelque part, taper dans une pierre jusqu'à ce que ses mains ne puissent plus servir, se mutiler pour oublier, s'agenouiller quelque part et se laisser mourir.
C'est l'arrivée du capitaine qui sauva finalement le lieutenant de la désolation. Il avait des ordres, il devait s'accrocher à ca. De toute façon plus rien d'autre ne comptait.
Il acquiesça et fit un signe de tête à ses hommes pour qu'ils restent en place, le tout en silence. Par respect pour la douleur des héraut, mais aussi car le lieutenant était bien incapable de dire un mot.
La seconde vague d'ordres du capitaine ne fut pas longue à arriver. Ou peut être que cela fut long, mais Fitz n'en avait plus aucune conscience. D'un mouvement de tête à ses hommes il leur demande de le rejoindre en bordure du champ, sauf que lui même n'arrivait pas à bouger. L'homme se maudissait, maudissait les dieux, maudissait cette guerre, et l'homme maudissait plus que tout sa force qui aujourd'hui le trahissait et le rendait impuissant.
Prenant appui sur sa hache il parvint à rejoindre ses soldats, pour leur transmettre les ordres de Beltran. Il confia aussi son arme à l'homme qu'il envoyait chercher les gaillards en qui Fitz avait le plus confiance pour offrir une garde d'honneur digne du compagnon d'Aranel, l'autre soldat resterait avec lui pour l'aider à appliquer les desiderata de son capitaine.
Il ne pouvait décemment pas accomplir son devoir avec cette arme grossière, il le ferait sans arme, mais surtout en assumant complètement l'être qu'Aranel l'avait vu devenir. Il retira son gant, avant de l'enfourner dans la poche arrière de son pantalon, il en sortit aussi un mouchoir blanc dont il essuya sa main ensanglantée avant de l'entourer proprement. Pour elle, pour tout ce qu'ils avaient vécu, pour ce qu'elle avait pu lui dire, pour le souvenir de ce qu'il était en arrivant, et ce qu'il était devenu, il accompagnerait le compagnon du héraut en assumant ce qu'Aanor lui avait donné.
Et si jamais aujourd'hui cette déesse le regardait, qu'elle entende son hurlement intérieur, qu'elle ressente sa haine, sa colère, sa tristesse, et qu'elle le craigne. Il sera son glaive car elle l'avait décidé, mais ce n'est pas pour elle qu'il se battra, c'est pour Aranel, pour défendre ce pour quoi elle a donné sa vie, mais elle... Elle ne sera jamais sa déesse. Et quand tout sera fini, quand le glaive n'aura plus de raison d'être, alors le mercenaire reprendra la chasse, et ces soit disant puissances devront le craindre, car ni l'enfer, ni les dieux ne les protégeront.
Il était temps de se remettre en route, de se reprendre en main, et d'obéir. Un gamin venait de s'approcher de la bordure du champ, ses hommes avaient pris les mauvaises habitudes du lieutenant, il s'adressa au soldat que Fitz avait laissé en surveillance avant de repartir en courant. Le regard que ce soldat venait de lui envoyait était claire : les hommes que le capitaine avait demandé étaient proche du champ... Il s'approcha de la dépouille de Gaëtan comme Beltran le lui avait demandé, remarquant Ezarell qui s'était déjà approché, il salua le compagnon, avant d'ajouter à voix basse.
« Veuillez m'excuser, Lieutenant Fitz. J'ai reçu comme ordre du capitaine de porter la dépouille de Gaëtan à la chapelle du Champs. Ce serait pour moi un honneur si vous me laissiez participer à cette tâche, mais puis-je vous demander de prévenir des compagnons afin de nous aider à le transporter ? »
Il mit un instant à se rendre compte que depuis son arrivé à Haven et au palais, c'était la première fois que Fitz s'adressait directement à un compagnon.